Une vie en morceaux
Peut-être aujourd'hui te poses tu la question: "Que faire quand mon cœur, ma vie est en morceaux? Vais-je un jour pouvoir les réunir et faire quelque chose, m'en sortir? "
Toutes ces questions je me les suis posées également, ma vie étant en morceaux avec une maladie invalidante depuis de longues années, un mariage terminé, un cœur brisé par des espoirs déçus et ce, sur une grande durée. On se demande alors si on pourra se reconstruire suffisamment, surmonter ça de manière à un jour pouvoir vivre pleinement et pas juste survivre.
J'ai été interpellée par l'art du Kintsugi - ou l'art de la résilience- qui consiste à réparer un objet en soulignant ses lignes de failles avec de la véritable poudre d’or, au lieu de chercher à les masquer.
Je me suis procurée cet excellent livre écrit par Céline Santini intitulé "Kintsugi l'art de la résilience" qui propose tout un chemin de réflexion tout au long de ce processus. Je me suis lancée dans la confection de mon propre vase.
Première difficulté
J'avais un vase acheté dans un célèbre magasin suédois, blanc, simple, esthétique, qui me plaisait beaucoup. J'ai voulu m'y mettre et je me suis directement retrouvée face à ma première difficulté: briser intentionnellement ce vase. Mon perfectionnisme m'interdisait de le casser délibérément. "Et si je le cassais mal?" Oui ridicule comme réflexion mais elle m'a vraiment bloquée pendant un bon moment.
J'ai dû commencer le processus par admettre l'échec, lâcher prise de la "réussite", y compris de "réussir à bien casser". Un échec ce n'est jamais joli, bien cassé, propre et net. Il y a des morceaux, de la poussière, des éclats qu'on ne retrouve pas, il y en a partout. Des morceaux qui se retrouvent sous la table du salon alors qu'on pensait avoir pris toutes les précautions pour récolter les éclats.
J'ai dû lâcher prise. Littéralement. Accepter le brisement, renoncer à mon désir de perfection, accepter le moche. Accepter ce qui est. Sans vouloir le changer, le transformer.
Avant même de vouloir réparer, il faut prendre conscience et acter tout ce qui ne va pas: les chagrins et souffrances enfouis pendant si longtemps, les dysfonctions niées, les peurs accumulées qui font brutalement surface, ressentir toutes les émotions difficiles que je ne m'étais alors pas autorisée à ressentir car trop difficiles à vivre. Mettre des mots dessus. Réaliser aussi les "bons" morceaux les espérances que j'avais, une volonté de vivre, de faire ce qu'il fallait pour changer, devenir une meilleure version de moi-même.
Ce qui est
Une énorme difficulté aussi a été de ne pas me ruer sur un tube de colle pour réparer à la va-vite. L'envie de reconstruire peut être tellement fort, voire violent du fait de la douleur de voir tout cela détruit peut pousser à zapper l'étape de juste vivre ce qui est. Ca a été une étape très importante dans le processus. Des montées d'élans très forts pour tout rafistoler me prenaient et c'était une vraie lutte pour rester tranquille, contempler ce qui est. Ne pas agir. Vivre cet instant de contemplation sur la situation était déjà une action en soi.
Faire le bilan des morceaux de la vie, le positif, le négatif, acter ce qui est, faire un état des lieux, pour savoir sur quoi repartir. Vais-je rebâtir ma vie avec les mêmes éléments? Ou les éléments négatifs, vais-je les transformer en éléments positifs pour mon puzzle de vie?
Pour être concret, je te donne un exemple. Prenons un morceau nommé "deuil" je l'ai appelé "célébration". Je ne veux plus vivre dans le deuil plus longtemps, j'ai assez mariné dedans depuis ma plus tendre enfance. Je décide donc à la place de célébrer: célébrer la vie, être reconnaissante, célébrer chacune de mes victoires et celle de ceux qui m'entourent.
Figure-toi que j'ai pu par la suite très largement vivre cette célébration: moi qui était en fauteuil roulant électrique et déambulateur, j'ai célébré: célébré mon périmètre de marche qui s'agrandissait, célébré d'abandonner le fauteuil roulant, célébré mes sorties en canne et plus en déambulateur, célébré mes premières sorties sans canne, célébré mes premières marches en montagne, si chères à mon cœur, célébré ma descente en rappel, et les célébrations continuent.
Lignes de failles, lignes de force
Pendant longtemps j'ai tenté de donner une bonne image de moi, forte, "parfaite", sage fille, trop sage, bien sous tous rapports alors qu'intérieurement j'étais brisée. Je ne voulais surtout pas montrer mes faiblesses, craignant les critiques et d'alors me sentir encore plus brisée. La maladie par la forces des choses m'a appris à accepter mes faiblesses, physiques déjà premièrement. A demander de l'aide, à renoncer à paraître forte -même si je ne vous le cache pas, je suis très têtue et cette tendance veut parfois reprendre le dessus...
J'ai dû apprendre à dire: j'ai mal, je suis en colère, je suis brisée, je souffre, j'ai des défauts. Les exposer d'une part a permis d'enclencher un processus de restauration et de guérison, de connexion à mon moi profond, et au final à être authentique. Et ce qui était au départ mes lignes de failles, sont devenues mes lignes de force.
Depuis, dans mes tableaux faits au pastel, j'aime à intégrer des lignes faites à la feuille d'argent ou d'or en symbole de ces lignes de faille et de force.
Ces lignes qui brisent le côté lisse du tableau au pastel donnent au final du relief et une touche unique.
Ces cicatrices de ma vie deviennent ma force et le témoignage de tout le chemin parcouru. Un chemin de guérison, de restauration, de résurrection.
Le tableau présenté ci-dessus en illustration est fait au pastel, j'y ai représenté mon vase Kintsugi, celui-là même que j'ai brisé et restauré.